Et les larmes des femmes qui roulent sur des joues sans maquillage, sans fard ni couleurs. Aux lèvres orphelines de rouge Baiser et aux paupières baissées sur l’absence qui déjà les hante. Et les hommes aux visages burinés, les yeux rougis, indifférents à l’indécence de l’instant. Les yeux qui piquent, qui brûlent et qui pleurent. Et moi qui partage ce moment d’histoire inhumaine pour un peuple en errance vers le pays de nulle part. Exodus à l’envers des temps modernes. Pleurer à peine sorti de l’enfance. Pleurer à seize ans ! Perdre le cadre de ma vie sans emporter dans mes valises le divin tableau. Perdre mes amitiés avant d’avoir refermé les dernières pages du livre de l’adolescence. Et la mémoire assassinée dans une guerre perdue d’avance contre le sablier. Sans le soutien des images et des odeurs, des mots et des amitiés, du car-table vieilli et des fiancées oubliées sur le chemin de l’exil. Et seulement deux valises pour enfouir la mémoire et les draps, le chagrin, l’angoisse et les objets dérisoires qui racontent l’histoire d’une famille française d’Algérie.
La Ville d’Oran emporte et déracine.
— Voilà, c’est fini ! Je lâche en ravalant un soupir à peine retenu. Je parle seul. Seul sur le pont supérieur. Les autres exilés se sont agglu-tinés et, agrippés à la rambarde, se sont laissés glisser vers le pays de la nostalgie. Nostalgie ! Un mot dont ils n’avaient jamais encore éprouvé la morsure, une blessure qui vous marque à jamais, qui vous vieillit avant l’âge et vous isole loin de vos sources de vie, de vos amis, de votre famille, si loin de votre pays. Qui vous ampute aussi !
DU MÊME AUTEUR :

HUBERT ZAKINE