Après une dure journée de travail, Jonas Atlan rangea ses outils de petite menuiserie, jeta un dernier coup d’œil pour voir si tout était en ordre puis ferma son atelier où il entreposait les matelas à garnir de laine.
Jonas était le matelassier-ébéniste de la casbah d’Alger, cumulant ses deux métiers avec un égal bonheur. Tantôt, il remplaçait et aérait la laine, tantôt il changeait la toile, piquait sa grande aiguille recourbée pour réaliser la bordure faite de gros bourrelets, tantôt il recollait le bois d'une chaise, d'une table ou d'un lit. Son travail toujours impeccable lui valait une très belle réputation au sein de la vieille ville, casbah judéo-arabe où il avait ouvert les yeux et qui était fréquentée essentiellement par les descendants des juifs d’Espagne après les inquisitions de 1391 et 1492.
Chaque soir, en descendant la rue Marengo, grande zébrure qui séparait la vieille ville en deux parties, Jonas s'arrêtait au café Lévy pour boire une anisette, geste immuable qui lui donnait l'impression de perpétuer son enfance auprès de ses amis de toujours. Il n'était pas un buveur mais avait un besoin viscéral d'être au milieu de ce peuple pauvre mais très attaché à des valeurs communautaires.
Il était un maillon de cette chaine invisible qui reliait son quartier à Alger et il ne pouvait imaginer quitter la casbah pour habiter un autre quartier. Il avait usé ses culottes sur les bancs de l’école de la rue du Soudan jusqu’à l’âge de douze ans avant de devenir apprenti-matelassier chez son oncle Messaoud...
DU MÊME AUTEUR :
HUBERT ZAKINE