– Je vais mourir, Jacky !
La voix de Paulo d’ordinaire si frêle, si fluette et si douce, glaça l’atmosphère et plomba l’ambiance. Plus de sourire, plus de rire, plus d’enfance, plus d’amitié et plus de souvenirs, Jacky cherchait sa respiration. Il voulait parler mais aucun son ne sortait de ses lèvres. Sa voix était suspendue à un fil qu’il ne voulait surtout pas détendre de peur de le briser. Le silence était son meilleur allié. Ne rien dire, ne rien entendre, faire la sourde oreille à toutes les voix qui lui répétaient sans cesse les trois mots fatidiques. Je vais mourir ! Et les amis qui se régalaient de football, de rire et de fureur, qui ne se doutaient de rien, qui ignoraient l’ignominie, la solitude glacée dans laquelle se débattait leur ami, leur camarade, leur frère. Je vais mourir ! Trois mots qui n’avaient pas leur place dans ce concerto d’amitié que chacun dans son genre interprétait dignement, en virtuose.
Je vais mourir ! Ces trois mots n’entraient pas dans leur amitié à cinq voix, intrus dans leur cavalcade harmonieuse qui durait depuis la plus tendre enfance, au jardin des culottes courtes et des genoux écorchés, des jeux de billes et de noyaux d’abricot, au temps des carrioles et du jeu des tchapp’s, des toupies et des bouchons de limonade, au temps où tout était bon pour remplacer les jeux dont le nerf de la guerre était l’argent.
Je vais mourir ! Jacky aurait aimé se réveiller, n’être jamais venu dans cette France de malheur, dans ce Nice inconnu où les pieds noirs n’avaient que faire, rester les pieds plantés au cœur de Bab El Oued qui jouissait d’une amitié pareille à aucune autre, d’un peuple jouisseur qui aurait pu donner des leçons de bonheur au monde entier.
Il savait que son esprit partait dans tous les sens mais il ne voulait ni ne pouvait le canaliser car la monstruosité cernait à présent son horizon. Comment penser à l’impensable, comment tolérer l’intolérable alors que la vie commençait à peine, alors que vivre était l’unique aboutissement, la suprême tentation d’un jeune homme au bord de l’existence.
DU MÊME AUTEUR :
HUBERT ZAKINE