Maquilleuse professionnelle à Toulon, Virginie Peyré témoigne de l'inceste dont elle a été victime plus jeune dans La Barque noire, un livre cru et bouleversant, sorti en janvier

Dès le début, ses mots sont glaçants ; l'horreur se nichant à chaque page. Au lecteur gêné, témoin de l'abomination, il n'est épargné aucun détail. Comme si, une bonne fois pour toutes, elle souhaitait que plus personne n'ait jamais l'indécence de remettre en question la gravité des violences subies dans sa jeunesse.

Virginie Peyré, « petite fille dans une famille aimante et chaleureuse », a été « salie par son propre frère pendant des années ». Dans La Barque noire, cette artiste peintre et maquilleuse professionnelle de 44 ans, raconte le drame de l'inceste. Mais aussi la descente aux enfers qui, une fois adulte, s'en est suivie. Jusqu'à la divulgation des faits à sa famille et la difficile acceptation par ses propres parents.

Écrit avant la vague de révélations initiée par Camille Kouchner, ce témoignage bouleversant est sorti le 21 janvier aux éditions les Presses du midi. Rencontre avec une femme, mère de deux enfants, en pleine reconstruction.

Que raconte La Barque noire ?

C'est le récit de l'inceste que j'ai subi dans ma jeunesse et ses conséquences sur ma vie d'adulte. J'ai été violée, abusée sexuellement par mon grand frère de six ans mon aîné, de l'âge de 5 ans à l'âge de 15 ans. Je raconte cette emprise du bourreau sur ta victime.

Votre livre est très cru dans les premières pages. Vous vouliez choquer ?

Non. Plutôt de montrer qu'il ne s'agissait pas de jeux d'enfant mais d'un viol. De dire : « Voyez, ces actes ne sont pas normaux... » C'est un cri du coeur.

Pourquoi avez-vous souhaité raconter ce drame personnel ?

Il s'agit de dénoncer l'impensable de faire émerger une prise de conscience pour dire que cela existe, que ces actes ignobles peuvent peut-être être évités. Il s'agit de protéger les enfants.Pour les victimes devenues adultes, je souhaite aussi porter un message d'espoir : à tout âge, on peut trouver la paix. Je n'ai plus rien à cacher, et c'est aussi pour ça que je témoigne à visage découvert, sans pseudonyme. Ce livre, je l'ai écrit d'une traite alors que j'étais enceinte de 7 mois. C'est une pierre de l'édifice de ma reconstruction.

Votre frère a-t-il été condamné pour les actes que vous dénoncez ?

J'ai porté plainte en 2017, mais on m'a répondu que les faits étaient prescrits. La loi sur le délai légal de prescription a ensuite été modifiée mais il était trop tard, ce qui m'a profondément révolté. Ma voix n'aura donc pas été entendue par la justice. Mais ces écrits, eux, resteront à jamais.

Vous avez 44 ans. Pourquoi avoir attendu toutes ces années pour parler ?

En matière d'inceste, il ne devrait pas y avoir de prescription car nombre de victimes subissent une amnésie post-traumatique. Les violences subies enfant mettent souvent des décennies à ressurgir. Parfois, même, la parole ne parvient jamais à se libérer. Pour ma part, c'est encore autre chose : il m'a fallu des années pour m'extirper de l'emprise de mon frère. Pour me dire que je n'étais pas coupable, mais victime. Le coupable, c'est lui.

Vous n'êtes jamais parvenue à interpeller vos parents ?

À 5 ans, on admire son grand frère. On ne fait pas la distinction entre le bien et le mal. Le bourreau explique à la victime que c'est normal. À l'adolescence, j'ai compris que quelque chose n'allait pas. Mais l'emprise était trop forte. La honte et la culpabilité s'étaient installées. On se sent si sale... J'en ai voulu à mes parents qui, par ailleurs, nous ont élevés avec beaucoup d'amour, de n'avoir jamais su repérer certains signes de mon malheur.

Quelle a été leur réaction quand vous leur avez révélé toute l'histoire ?

C'était une des plus grandes et difficiles décisions de ma vie. Mais il fallait que chacun prenne sa part de responsabilité. Sauf que leur première réaction a été de parler de leur propre douleur, sans vraiment écouter la mienne... Et puis mon frère a essayé de manipuler mes parents en minimisant ses actes. J'avais davantage besoin qu'on me reconnaisse en tant que victime. Il a fallu le dépôt de plainte pour que mes mots portent. Aujourd'hui, mon père et ma mère sont totalement derrière moi.

Lors de votre thérapie, vous écrivez aussi avoir fait des découvertes sur votre famille...

Il s'avère que j'avais un grand-père qui lui-même était un prédateur sexuel, coupable d'inceste, ce que j'ignorais jusqu'alors. Ça explique peut-être une partie de l'histoire...

Comment êtes-vous parvenue à vous échapper des griffes de votre bourreau ?

Il a fini par quitter Le domicile familial pour l'armée. Mais pour moi, même si la musique puis la peinture m'ont servi d'exutoire, la descente aux enfers n'était pas terminée. J'avais des colères incessantes et inexpliquées. Mes relations avec les gens en général, et les hommes en particulier, ont longtemps été chaotiques. On ne m'avait jamais appris à respecter mon corps. La dissociation du corps et de l'esprit se fait naturellement chez les victimes, qui sombrent parfois dans l'anorexie, la drogue, le sexe, ladépression...
Pour ma part, après un divorce houleux, j'ai fait une grosse dépression. Et c'est après dix ans de thérapie que tout est remonté à la surface. Un jour, en poussant la porte d'un cabinet de kinésiologie, une question est remontée à ta surface : « Que s'est-il passé l'année de mes cinq ans ? »

Que devient votre frère ?

Il est marié, il a des enfants, il mène une vie normale... loin du reste de sa famille. On ne sait pas ce qu'il a raconté à sa femme. Il a construit un barrage entre nous. Le pire, c'est qu'il n'a jamais nié. Mais il n'a jamais mesuré la gravité de ce qu'il faisait. C'est un prédateur sexuel non repenti, non guéri.

Lui pardonnerez-vous un jour ?

Je n'en suis pas à ce stade.

PROPOS RECUEILLIS PAR MATHIEU DALAINE
mdalaine@nicematin.fr

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