Page 10 - Extrait de Champ d'artichauts de Sophie Jalabert
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ablés dans un petit bistrot. Roland, un peu plus penché que
d’ordinaire, épaules contractées, mâchoires serrées, regardait
le menu à travers ses lunettes en plissant les yeux, sourcils
froncés. Elle sait détecter les tensions, soulager les maux.
Écouter la douleur, accoucher la parole, c’est son travail quo-
tidien.
– Tu n’as pas l’air bien, Roland.
– Mais si, je t’assure.
– Non, je le vois. Tu sais, j’ai l’habitude. Tu peux me parler
si tu le veux. Je suis une tombe, ça restera entre nous.
– Tu es adorable ! Marc a une chance folle de t’avoir. J’es-
père qu’il en est conscient. Mais tu es la dernière personne à
qui je peux me confier…
– Comment ça ?
– Je ne voudrais pas mettre la pagaille…
Frissonnement, léger picotement, injonction interne à ne
pas poursuivre sur une voie probablement inconfortable. Mais
l’envie de servir ses propres intérêts en mettant tout en œuvre
pour que ça se passe bien entre Nina et lui fut la plus forte…
Favoriser la confidence… Désordonnée, hésitante, timide au
départ, la parole de son interlocuteur devient fluide, nette,
claire. Manon vit un homme éminemment épris, désemparé. Il
s’interrogeait sur la sincérité de Nina, sur la nature réelle de sa
relation à Marc. Il n’appréciait pas leurs appels trop fréquents,
les visites impromptues, la façon qu’ils avaient de baisser la
voix à son approche, la manière qu’elle avait de parler de lui
avec passion, leur attachement suspect. Il restait sur ses gardes
sans oser rien dire de peur de la perdre. Manon, elle, sourit.
Elle raconta ses propres questionnements en les conjuguant au
passé, pensa avoir trouvé les mots pour le rassurer.
– Tu n’as aucune raison de t’inquiéter. Tout va très bien
entre Marc et moi. On s’aime. On parle même de faire un
bébé…
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d’ordinaire, épaules contractées, mâchoires serrées, regardait
le menu à travers ses lunettes en plissant les yeux, sourcils
froncés. Elle sait détecter les tensions, soulager les maux.
Écouter la douleur, accoucher la parole, c’est son travail quo-
tidien.
– Tu n’as pas l’air bien, Roland.
– Mais si, je t’assure.
– Non, je le vois. Tu sais, j’ai l’habitude. Tu peux me parler
si tu le veux. Je suis une tombe, ça restera entre nous.
– Tu es adorable ! Marc a une chance folle de t’avoir. J’es-
père qu’il en est conscient. Mais tu es la dernière personne à
qui je peux me confier…
– Comment ça ?
– Je ne voudrais pas mettre la pagaille…
Frissonnement, léger picotement, injonction interne à ne
pas poursuivre sur une voie probablement inconfortable. Mais
l’envie de servir ses propres intérêts en mettant tout en œuvre
pour que ça se passe bien entre Nina et lui fut la plus forte…
Favoriser la confidence… Désordonnée, hésitante, timide au
départ, la parole de son interlocuteur devient fluide, nette,
claire. Manon vit un homme éminemment épris, désemparé. Il
s’interrogeait sur la sincérité de Nina, sur la nature réelle de sa
relation à Marc. Il n’appréciait pas leurs appels trop fréquents,
les visites impromptues, la façon qu’ils avaient de baisser la
voix à son approche, la manière qu’elle avait de parler de lui
avec passion, leur attachement suspect. Il restait sur ses gardes
sans oser rien dire de peur de la perdre. Manon, elle, sourit.
Elle raconta ses propres questionnements en les conjuguant au
passé, pensa avoir trouvé les mots pour le rassurer.
– Tu n’as aucune raison de t’inquiéter. Tout va très bien
entre Marc et moi. On s’aime. On parle même de faire un
bébé…
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