Page 7 - Extrait de Champ d'artichauts de Sophie Jalabert
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Au moment où elle pose les verres sur la nappe, la sonne-
rie du fixe retentit. À cette heure-ci, étant donné que personne
n’utilise plus cette ligne depuis longtemps, à part Nina occa-
sionnellement, Manon se dit qu’il s’agit de démarchage télé-
phonique. Elle est sur le point de sortir de la cuisine quand
elle entend claquer la porte d’entrée. Elle se précipite au
salon…
Marc s’est volatilisé ! Il n’est quand même pas parti sans
rien dire, il va revenir, se dit-elle avec un mélange d’incrédu-
lité, de colère et d’inquiétude. Nina ! C’était elle à l’autre bout
du fil, forcément. Il n’y avait qu’elle pour faire perdre à Marc
tout sens commun au point de la planter là sans un mot. Elle
doit être au pied de l’immeuble, il est sûrement descendu lui
ouvrir. Qu’est-ce qu’elle veut cette fois-ci ? Un peu de com-
pagnie, s’épancher sur ses états d’âme, leur pourrir la vie ?
Quoi qu’il en soit, soirée gâchée et pas n’importe laquelle,
celle qui compte par-dessus tout ! Manon fulmine en pensant
qu’elle devra, à tous les coups, en plus de ravaler sa colère,
ajouter un couvert pour l’importune.
Les doutes anciens, subtilement érodés au fil du temps,
ressurgissent avec plus d’acuité, plus de perfide venin. Il a
bien failli la convaincre qu’elle faisait fausse route, qu’il n’y
avait rien entre eux. Peut-être qu’il n’est même pas conscient
de ce qu’il ressent mais ce n’est pas explicable autrement.
Nina, toujours entre eux, même physiquement absente. Son
ombre traîne en permanence, encombrante, inévitable. Marc
l’avait mise à leur rencontre, elle, la femme qu’il prétendait
aimer, sur le gril face à son « amie d’enfance » afin d’obtenir
l’indispensable adoubement sans lequel rien n’eût été envisa-
geable. Il ne savait, ne pouvait, ou ne voulait – qui sait ? – rien
entreprendre sans la consulter. Jusqu’au choix de leur appar-
tement, conditionné par le fait que « Nina l’aime. Elle verra
tout de suite s’il y a un loup ». Manon n’avait pu s’empêcher
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rie du fixe retentit. À cette heure-ci, étant donné que personne
n’utilise plus cette ligne depuis longtemps, à part Nina occa-
sionnellement, Manon se dit qu’il s’agit de démarchage télé-
phonique. Elle est sur le point de sortir de la cuisine quand
elle entend claquer la porte d’entrée. Elle se précipite au
salon…
Marc s’est volatilisé ! Il n’est quand même pas parti sans
rien dire, il va revenir, se dit-elle avec un mélange d’incrédu-
lité, de colère et d’inquiétude. Nina ! C’était elle à l’autre bout
du fil, forcément. Il n’y avait qu’elle pour faire perdre à Marc
tout sens commun au point de la planter là sans un mot. Elle
doit être au pied de l’immeuble, il est sûrement descendu lui
ouvrir. Qu’est-ce qu’elle veut cette fois-ci ? Un peu de com-
pagnie, s’épancher sur ses états d’âme, leur pourrir la vie ?
Quoi qu’il en soit, soirée gâchée et pas n’importe laquelle,
celle qui compte par-dessus tout ! Manon fulmine en pensant
qu’elle devra, à tous les coups, en plus de ravaler sa colère,
ajouter un couvert pour l’importune.
Les doutes anciens, subtilement érodés au fil du temps,
ressurgissent avec plus d’acuité, plus de perfide venin. Il a
bien failli la convaincre qu’elle faisait fausse route, qu’il n’y
avait rien entre eux. Peut-être qu’il n’est même pas conscient
de ce qu’il ressent mais ce n’est pas explicable autrement.
Nina, toujours entre eux, même physiquement absente. Son
ombre traîne en permanence, encombrante, inévitable. Marc
l’avait mise à leur rencontre, elle, la femme qu’il prétendait
aimer, sur le gril face à son « amie d’enfance » afin d’obtenir
l’indispensable adoubement sans lequel rien n’eût été envisa-
geable. Il ne savait, ne pouvait, ou ne voulait – qui sait ? – rien
entreprendre sans la consulter. Jusqu’au choix de leur appar-
tement, conditionné par le fait que « Nina l’aime. Elle verra
tout de suite s’il y a un loup ». Manon n’avait pu s’empêcher
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