Page 9 - Extrait de Juste un grain de sable de Sophie Jalabert
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er dans l’appartement que j’avais redessiné, aménagé, dé-
coré. Dans le magasin bondé, je traînais mon gros ventre en
transpirant. Alain s’inquiétait des effets de la chaleur tandis
que je ne pensais qu’à notre nid douillet, à l’effet que produi-
rait une treille avec un jasmin, une bignone, regrettant de ne
pouvoir prendre une bougainvillée à cause du froid. Marie se
manifestait parfois, un coup bref et vigoureux dans l’utérus.
Alors j’optais pour la plante qu’elle semblait avoir choisie.
Alain se moquait gentiment de moi, arguant que du ventre où
elle se trouvait, elle ne pouvait avoir d’opinion. D’année en
année les plants ont prospéré, Marie aussi. Elle a été une en-
fant facile, tendre, un rayon de soleil. Elle a même comblé
notre vœu de ne pas avoir d’enfant trop vite après notre ma-
riage.
Notre mariage ! L’année précédant l’an deux mille et le fa-
meux bug tant redouté qui ne s’était pas plus produit que la
fin du monde annoncée à grands cris. À part le changement
de siècle à venir et les angoisses omniprésentes d’un apoca-
lyptique crash numérique universel, une année des plus nor-
males. Même les tensions que nous craignions entre nos fa-
milles, si différentes, si antinomiques, nous avaient été épar-
gnées, chacun mettant un point d’honneur à ce que ce jour
nous fût inoubliable. Il le fut.
J’avais vingt-cinq ans, Alain, trente. Il habitait alors à
quelques stations de métro, un charmant appartement sous les
toits. Les propriétaires avaient réuni plusieurs chambres de
bonne, décroûté les murs pour laisser apparaître les pierres,
gratté les poutres. On avait l’impression d’être à la campagne
en pleine cité. Il avait installé dans la pièce ouverte, adossé à
la kitchenette, un salon en rotin sous les Velux. Le soir, lovés
dans le canapé, nous regardions les étoiles au-dessus de nous
en inventant notre devenir. Même si je passais le plus clair de
mes nuits dans son petit deux-pièces, officiellement je vivais
encore chez mes parents.
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coré. Dans le magasin bondé, je traînais mon gros ventre en
transpirant. Alain s’inquiétait des effets de la chaleur tandis
que je ne pensais qu’à notre nid douillet, à l’effet que produi-
rait une treille avec un jasmin, une bignone, regrettant de ne
pouvoir prendre une bougainvillée à cause du froid. Marie se
manifestait parfois, un coup bref et vigoureux dans l’utérus.
Alors j’optais pour la plante qu’elle semblait avoir choisie.
Alain se moquait gentiment de moi, arguant que du ventre où
elle se trouvait, elle ne pouvait avoir d’opinion. D’année en
année les plants ont prospéré, Marie aussi. Elle a été une en-
fant facile, tendre, un rayon de soleil. Elle a même comblé
notre vœu de ne pas avoir d’enfant trop vite après notre ma-
riage.
Notre mariage ! L’année précédant l’an deux mille et le fa-
meux bug tant redouté qui ne s’était pas plus produit que la
fin du monde annoncée à grands cris. À part le changement
de siècle à venir et les angoisses omniprésentes d’un apoca-
lyptique crash numérique universel, une année des plus nor-
males. Même les tensions que nous craignions entre nos fa-
milles, si différentes, si antinomiques, nous avaient été épar-
gnées, chacun mettant un point d’honneur à ce que ce jour
nous fût inoubliable. Il le fut.
J’avais vingt-cinq ans, Alain, trente. Il habitait alors à
quelques stations de métro, un charmant appartement sous les
toits. Les propriétaires avaient réuni plusieurs chambres de
bonne, décroûté les murs pour laisser apparaître les pierres,
gratté les poutres. On avait l’impression d’être à la campagne
en pleine cité. Il avait installé dans la pièce ouverte, adossé à
la kitchenette, un salon en rotin sous les Velux. Le soir, lovés
dans le canapé, nous regardions les étoiles au-dessus de nous
en inventant notre devenir. Même si je passais le plus clair de
mes nuits dans son petit deux-pièces, officiellement je vivais
encore chez mes parents.
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