Page 10 - Extrait de Juste un grain de sable de Sophie Jalabert
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Durant des mois, ma mère avait tout organisé. Elle m’avait
fait faire une robe splendide par une amie. Une ancienne pre-
mière d’atelier d’un grand couturier. Sobre, élégante, elle
laissait mes épaules découvertes, soulignait ma taille de
guêpe et venait s’alanguir à mes pieds dans un plissé savant.
Je m’émerveillais à chaque essayage de la suavité du tissu, de
sa fluidité, passant mes mains dans les plis pour mieux le sen-
tir, tournant sur moi-même en riant pour en admirer l’envol.
Je me sentais belle. Je me sentais si heureuse que rien d’autre
n’existait que ce bonheur immense. J’avais un mal fou à me
concentrer sur la recherche de mon premier emploi, préférant de
loin, les yeux mi-clos, imaginer ce grand jour qui n’en finissait
pas de se faire désirer. Le premier jour de ma nouvelle vie avec
l’homme que j’aimais.
Ce jour arriva enfin. Une fine bruine s’était installée à
l’aube. Combien de fois, me glissa-t-on à l’oreille le vieil adage
« mariage pluvieux, mariage heureux », combien de fois ai-je
mentalement rectifié... « mariage plus vieux… ». J’eus néan-
moins mon signe favorable du destin, puisque la pluie s’inter-
rompit à chacune de mes apparitions à l’extérieur.
J’avançai dans la nef, sûre de mon choix et tremblante
d’émotion, au bras de mon père tout aussi ému que moi. Sa
main, qui couvrait mon poignet avec une tendresse infinie, di-
sait les années de l’enfance, la fierté paternelle, l’étonnement
que j’eusse grandi aussi vite. D’une voix à peine audible, il dit
à Alain :
— Je vous confie Hélène, prenez-en soin, fils.
Ce fut la première fois qu’il appela mon mari ainsi. Les
larmes me montèrent aux yeux. Je l’embrassai. Un homme qui
me chérissait me voyait quitter le nid, un autre qui m’aimait
m’accueillait dans sa vie. Je sentis tout au fond de moi l’inten-
sité de leur amour, la solennité de leur engagement à mon égard.
Et cela me bouleversa profondément.
Le soir, entre les bras de mon père, tournoyant au son d’une
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fait faire une robe splendide par une amie. Une ancienne pre-
mière d’atelier d’un grand couturier. Sobre, élégante, elle
laissait mes épaules découvertes, soulignait ma taille de
guêpe et venait s’alanguir à mes pieds dans un plissé savant.
Je m’émerveillais à chaque essayage de la suavité du tissu, de
sa fluidité, passant mes mains dans les plis pour mieux le sen-
tir, tournant sur moi-même en riant pour en admirer l’envol.
Je me sentais belle. Je me sentais si heureuse que rien d’autre
n’existait que ce bonheur immense. J’avais un mal fou à me
concentrer sur la recherche de mon premier emploi, préférant de
loin, les yeux mi-clos, imaginer ce grand jour qui n’en finissait
pas de se faire désirer. Le premier jour de ma nouvelle vie avec
l’homme que j’aimais.
Ce jour arriva enfin. Une fine bruine s’était installée à
l’aube. Combien de fois, me glissa-t-on à l’oreille le vieil adage
« mariage pluvieux, mariage heureux », combien de fois ai-je
mentalement rectifié... « mariage plus vieux… ». J’eus néan-
moins mon signe favorable du destin, puisque la pluie s’inter-
rompit à chacune de mes apparitions à l’extérieur.
J’avançai dans la nef, sûre de mon choix et tremblante
d’émotion, au bras de mon père tout aussi ému que moi. Sa
main, qui couvrait mon poignet avec une tendresse infinie, di-
sait les années de l’enfance, la fierté paternelle, l’étonnement
que j’eusse grandi aussi vite. D’une voix à peine audible, il dit
à Alain :
— Je vous confie Hélène, prenez-en soin, fils.
Ce fut la première fois qu’il appela mon mari ainsi. Les
larmes me montèrent aux yeux. Je l’embrassai. Un homme qui
me chérissait me voyait quitter le nid, un autre qui m’aimait
m’accueillait dans sa vie. Je sentis tout au fond de moi l’inten-
sité de leur amour, la solennité de leur engagement à mon égard.
Et cela me bouleversa profondément.
Le soir, entre les bras de mon père, tournoyant au son d’une
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