Page 8 - Extrait de Juste un grain de sable de Sophie Jalabert
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Alain avait gravi les échelons progressivement mais rapi-
dement, presque naturellement. Commercial, responsable
commercial, directeur commercial. Il était passé au travers
des gouttes durant les périodes de crise, tirant savamment son
épingle du jeu à chaque réorganisation, chaque fusion, chaque
vague de licenciements. Il disait qu’il avait de la chance, que
jamais les humains ne cesseraient de s’alimenter, que l’agroa-
limentaire était porteur. Il avait un très bon salaire auquel ve-
naient s’ajouter mes émoluments, plus que confortables eux
aussi. Le cabinet d’architecture intérieure qui m’employait
prospérait. J’aimais mon travail, j’y laissais libre cours à ma
créativité, regardais mes esquisses prendre forme, prendre la
consistance de la matière avec satisfaction. Je cavalais d’un
point à l’autre de la capitale, ravie de modeler les espaces, de
teinter les ambiances, soucieuse des détails, traquant la ten-
dance ultime du design, dirigeant les artisans avec fermeté et
gentillesse. Nous vivions bien, même très bien. Nous avions
le sentiment de nous échiner assez dur pour mériter les fa-
veurs du destin, mériter notre confort. Nous transmettions à
notre progéniture le goût de la belle ouvrage, le sens de l’ef-
fort, la joie de la récompense. Je pensais que ça durerait tou-
jours, j’avais confiance en nous, confiance en notre avenir.
Le cœur de notre vie battait au cœur de la ville. Là où nous
nous étions rencontrés, là où nous nous sommes mariés, où
nos enfants ont vu le jour. Du balcon perché au cinquième
étage d’un grand et bel immeuble haussmannien, je regardais
les toits. Ravissement le soir lorsque la tour Eiffel éclairée ba-
layait de son faisceau la ville étendue sous elle. Arrosoir en
main, je m’immobilisais quelques instants, savourant la vue
dégagée sur la Seine, avant de soigner les jardinières que nous
avions plantées à notre installation. Je me souviens du jour où
nous les avons choisies. Pour qu’elles soient un bouquet flam-
boyant, faciles d’entretien et pas trop envahissantes. J’étais
enceinte de Marie, nous avions hâte d’emménager, de nous
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dement, presque naturellement. Commercial, responsable
commercial, directeur commercial. Il était passé au travers
des gouttes durant les périodes de crise, tirant savamment son
épingle du jeu à chaque réorganisation, chaque fusion, chaque
vague de licenciements. Il disait qu’il avait de la chance, que
jamais les humains ne cesseraient de s’alimenter, que l’agroa-
limentaire était porteur. Il avait un très bon salaire auquel ve-
naient s’ajouter mes émoluments, plus que confortables eux
aussi. Le cabinet d’architecture intérieure qui m’employait
prospérait. J’aimais mon travail, j’y laissais libre cours à ma
créativité, regardais mes esquisses prendre forme, prendre la
consistance de la matière avec satisfaction. Je cavalais d’un
point à l’autre de la capitale, ravie de modeler les espaces, de
teinter les ambiances, soucieuse des détails, traquant la ten-
dance ultime du design, dirigeant les artisans avec fermeté et
gentillesse. Nous vivions bien, même très bien. Nous avions
le sentiment de nous échiner assez dur pour mériter les fa-
veurs du destin, mériter notre confort. Nous transmettions à
notre progéniture le goût de la belle ouvrage, le sens de l’ef-
fort, la joie de la récompense. Je pensais que ça durerait tou-
jours, j’avais confiance en nous, confiance en notre avenir.
Le cœur de notre vie battait au cœur de la ville. Là où nous
nous étions rencontrés, là où nous nous sommes mariés, où
nos enfants ont vu le jour. Du balcon perché au cinquième
étage d’un grand et bel immeuble haussmannien, je regardais
les toits. Ravissement le soir lorsque la tour Eiffel éclairée ba-
layait de son faisceau la ville étendue sous elle. Arrosoir en
main, je m’immobilisais quelques instants, savourant la vue
dégagée sur la Seine, avant de soigner les jardinières que nous
avions plantées à notre installation. Je me souviens du jour où
nous les avons choisies. Pour qu’elles soient un bouquet flam-
boyant, faciles d’entretien et pas trop envahissantes. J’étais
enceinte de Marie, nous avions hâte d’emménager, de nous
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