Page 15 - Extrait de Juste un grain de sable de Sophie Jalabert
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lieues et d’élections municipales. Les trois mois qui suivi-
rent, je travaillai au ralenti avec infiniment de plaisir.
En juin, les camionneurs donnèrent de la voix et du blocus.
Avec les ambulanciers, les taxis… Lever de boucliers contre
la flambée des prix du pétrole. Pour moi, premières contrac-
tions. Il se présenta en siège. Quand, après de longues heures
de douleurs et d’efforts, il naquit, la colère rougissait son vi-
sage, écho à la colère exprimée au-dehors. Enfant en osmose
parfaite avec son époque. Il continua à hurler durant des mois
qui nous semblèrent interminables. Nuits sans sommeil, accu-
mulées, qui entamèrent la patience de son père et furent sans
doute à l’origine de leur relation compliquée, tendue, souvent
conflictuelle. J’en conclus assez rapidement, qu’en réalité
nous avions chacun notre enfant. Lui, Marie ; moi, Louis.
Je ne l’avais pas remarqué sur-le-champ, mais les choses
avaient commencé à changer. Avec Louis, plus chétif que sa
sœur, plus fragile malgré son fort caractère, avec ses colères
tonitruantes, ses questionnements permanents, son opposition
obstinée, sa résistance à l’autorité, son refus absolu des
normes et des cadres, son insouciance affichée et insolente,
mes certitudes s’effritaient subrepticement. Toutefois, durant
plus de vingt ans, j’ai mené une vie merveilleuse dans une
ville merveilleuse, auprès d’êtres aimants, avec une activité
qui m’a comblée. Et puis rien, un grain de sable…
Je vous parle aujourd’hui, comme je ne l’ai jamais fait. Je
veux vous raconter, vous faire confiance. Pourtant, Dieu sait
que je n’en ai a priori aucune envie. Je préfèrerais laisser glis-
ser, me laisser glisser. Qu’est-ce que ça pourrait bien faire
puisque j’ai déjà tout perdu ? Fatalement, on vous demandera
plus qu’une réponse « oui » ou « non ». Je comprends que
vous cherchiez une explication, ce qui pourrait me dédouaner,
m’exempter de ma responsabilité. Il n’y a rien. Rien du tout.
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rent, je travaillai au ralenti avec infiniment de plaisir.
En juin, les camionneurs donnèrent de la voix et du blocus.
Avec les ambulanciers, les taxis… Lever de boucliers contre
la flambée des prix du pétrole. Pour moi, premières contrac-
tions. Il se présenta en siège. Quand, après de longues heures
de douleurs et d’efforts, il naquit, la colère rougissait son vi-
sage, écho à la colère exprimée au-dehors. Enfant en osmose
parfaite avec son époque. Il continua à hurler durant des mois
qui nous semblèrent interminables. Nuits sans sommeil, accu-
mulées, qui entamèrent la patience de son père et furent sans
doute à l’origine de leur relation compliquée, tendue, souvent
conflictuelle. J’en conclus assez rapidement, qu’en réalité
nous avions chacun notre enfant. Lui, Marie ; moi, Louis.
Je ne l’avais pas remarqué sur-le-champ, mais les choses
avaient commencé à changer. Avec Louis, plus chétif que sa
sœur, plus fragile malgré son fort caractère, avec ses colères
tonitruantes, ses questionnements permanents, son opposition
obstinée, sa résistance à l’autorité, son refus absolu des
normes et des cadres, son insouciance affichée et insolente,
mes certitudes s’effritaient subrepticement. Toutefois, durant
plus de vingt ans, j’ai mené une vie merveilleuse dans une
ville merveilleuse, auprès d’êtres aimants, avec une activité
qui m’a comblée. Et puis rien, un grain de sable…
Je vous parle aujourd’hui, comme je ne l’ai jamais fait. Je
veux vous raconter, vous faire confiance. Pourtant, Dieu sait
que je n’en ai a priori aucune envie. Je préfèrerais laisser glis-
ser, me laisser glisser. Qu’est-ce que ça pourrait bien faire
puisque j’ai déjà tout perdu ? Fatalement, on vous demandera
plus qu’une réponse « oui » ou « non ». Je comprends que
vous cherchiez une explication, ce qui pourrait me dédouaner,
m’exempter de ma responsabilité. Il n’y a rien. Rien du tout.
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