Page 9 - Extrait de black out de Boris Sciutto
P. 9
de me repérer dans le temps, je suis ici depuis huit jours,
semble-t-il, du moins depuis mon réveil. Tous les jours la
même rengaine, on me nourrit, on me lave, je chie dans une
foutue couche ! Je mesure 1,90 m pour 105 kilos, il est im-
possible de venir en Fenwick trois fois par jour pour me trans-
porter jusqu’aux waters…

Franchement, n’est-il pas l’heure de tirer sa révérence lors-
qu’on est tributaire d’une « BAC+4 » en blouse blanche pour
nettoyer la souillure de sa propre digestion ? – ACHEVEZ-
MOI, C’EST LE BON MOMENT !

L’aide-soignante me sourit, par compassion sans aucun
doute, et me rassure sur le fait que je ne suis pas le premier,
encore moins le dernier, qu’il faut se battre, que tout va s’ar-
ranger…

*

Nouvelle matinée, je regarde par la fenêtre et, comme un
jour normal d’octobre à Paris – ça fonctionne également avec
mars, mai, juillet… – il pleut. Le ciel n’est pas décidé à jouer
de sa clémence aujourd’hui. Sale temps pour les piétons et les
sportifs, c’est le déluge. Malgré cela, j’aimerais vraiment
pouvoir être au milieu du parc, trempé, en train de courir pour
m’abriter comme les quelques personnes que je peux aperce-
voir au loin. Au lieu de ça, je suis au sec, si je puis dire, à en
croire la teinte de mon foutu lange. J’appuie une énième fois
sur le bouton « Help ». L’infirmière, Sylvie, je crois, petite
femme rondouillarde, mais au visage souriant et gracieux, pé-
nètre dans la chambre. Je suis le patient, et elle est la pa-
tience ; je ne suis pas le compagnon de boulot idéal. Elle
croise mon regard, mélange de gêne et de colère, et s’apprête
à me « nettoyer », lorsque je vois Christine entrer.

Malgré le lien qui nous unit, je lui demande de sortir rapi-
dement et d’attendre que je sois… présentable. Quelques ins-

11
   4   5   6   7   8   9   10   11   12   13