Page 5 - Extrait de black out de Boris Sciutto
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Deuxième question : « M’ENTENDEZ-VOUS QUAND
JE VOUS PARLE ? » – je la vois, je devine qu’elle me parle –
je secoue lentement mon crâne de gauche à droite en signe de
négation.

Elle me présente à nouveau sa pancarte avec le message
suivant : « POUVEZ-VOUS ÉCRIRE ? ». Elle me tend le ma-
tériel, je saisis le feutre de ma main droite – le choix ne m’est
pas vraiment donné – je regarde l’ardoise, j’ai envie de pleu-
rer. J’ai l’impression de ne rien contrôler, je laisse tomber au
sol mon seul moyen de communication avec l’extérieur, re-
garde à gauche la fenêtre de ma chambre et, pensant pouvoir
épargner mon entourage, laisse couler le long de ma joue ce
qui semble être la dernière larme d’un corps tari par la dou-
leur. Les deux femmes quittent la pièce, leur sixième sens leur
aura fait comprendre que je veux rester seul.

Dehors, le soleil irradie les feuilles ocre des platanes du
parc de l’hôpital, une légère brise semble décoiffer la cheve-
lure rousse des arbres, en ce mois d’octobre 2015.

*

« … Quand il ira mieux… donnerai des nouvelles… repo-
ser ». Les venins médicamenteux que l’on m’injecte me joue-
raient-ils des tours ? J’entends des bruits, autre que la marée
sanguine interne qui me maintient en vie. Je tourne brusque-
ment la tête vers l’origine des sons émis, toujours cette femme,
qu’elle est belle d’ailleurs, 1,75 m, brune aux cheveux longs, le
genre de femme à la beauté naturelle, dont la moindre touche de
maquillage dénaturerait ce que Le Créateur a sublimé. Bref.
Cette beauté, qui semble n’avoir jamais bougé depuis que je
loge à « l’hôtel des rescapés », échange avec le docteur et sa col-
lègue – la « conne à la lampe ». Je me tourne vers eux, parviens
à gémir une onomatopée qui, à en juger leurs réactions, avait
plus de valeur que toute formule archimédienne.

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