Page 7 - Extrait de black out de Boris Sciutto
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nd la main – elle a les mains fraîches et douces – et me de-
mande : « Comment vas-tu, Pascal ? » J’essaie de cacher le
malaise qui m’envahit, mais je lui réponds : « Je vais bien,
Madame, je vous remercie. Mais qui êtes-vous ? »

Je ne saurais dire si la déception l’emportait sur tout autre
sentiment, mais la belle brune, décontenancée, me lança :
« Pascal, c’est moi, c’est Christine, ta femme ! ».

Un voile perlé envahissait ses yeux bruns, je ne pus m’em-
pêcher de m’excuser auprès d’elle. J’avais beau chercher au
plus profond de mon être, il m’était impossible d’associer
cette divinité à un passage de ma vie et, me voyant regarder
les enfants à ses côtés, elle m’annonçait qu’il s’agissait de nos
deux enfants, Paul et Antoine, âgés de 4 et 6 ans.

Quand le monde s’écroule autour de vous, on peut éviter
d’être impacté, mais lorsqu’il s’effondre sur vous, quoi que
vous fassiez, vous n’êtes plus que gravats parmi les dé-
combres. Christine et les enfants ont quitté la pièce. Les deux
enfants, ne semblant pas forcément comprendre la situation,
me faisaient de grands signes d’au revoir avec leurs petites
mains.

Que s’est-il passé pour que je ne me souvienne de rien ?
Ma femme ! Mes enfants ! Rien n’a plus de sens dans ma vie,
tout ce que j’ai construit, tout ce qu’on a construit ! Seigneur,
aidez-moi à me souvenir, donnez-moi ces putains de ré-
ponses !

D’analyse en analyse, je progresse, même si je ne peux
quitter mon lit, me déplacer à ma convenance. L’envie de pis-
ser, entre autres. Impossible de me débrouiller, un pistolet en
vieux plastique jaune et une couche « gériatrique » pour les
urgences plus… consistantes. Personne pour m’éclairer. Mes
nerfs lâchent, je vocifère dans la chambre, réclame la pré-
sence « immédiate d’un putain de toubib compétant dans cet
endroit de merde » – la colère n’est pas source de poésie chez

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