Page 15 - Extrait de Notes de coeur de Sophie Jalabert
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Paradoxalement au fil du deuil, plus elle s’était sentie re-
vivre, plus son image était remontée avec vigueur et insis-
tance des profondeurs de ses souvenirs. Plus elle tendait au-
devant, plus elle s’ancrait en arrière. Consciente de ses re-
grets, elle se disait de plus en plus haut et fort qu’elle avait
laissé passer l’homme de sa vie. Et prise dans son inconfor-
table bascule, elle refumait en attendant que ça passe, en at-
tendant un miracle, sachant qu’après celui-là elle en attendrait
un autre, puis un autre et ainsi de suite ; dans un mouvement
où perpétuellement l’horizon recule… Ce qui est d’ailleurs la
nature même de l’horizon : toujours à portée de vue, jamais à
portée de vie !
Depuis juin, elle avait amorcé un changement, lame de
fond d’abord à peine visible, sourdine faible se renforçant peu
à peu qui à présent ressemblait aux murs des flots érigés par
un mistral déchaîné. Le mur brisé hurlait contre les rochers
aiguisés, d’un cri déchiré, âpre, éventré, répandant ses tonali-
tés iodées des crêtes écumeuses au cœur des terres. Cela fai-
sait un fracas assourdissant qu’elle faisait semblant de ne pas
entendre dont le volume augmentait proportionnellement aux
efforts qu’elle faisait pour le nier. Chemin sans retour, initia-
tion tardive et sans appel.
Alors qu’elle avait presque cessé de s’alimenter, elle re-
commença à manger. Elle recommença à sourire, à sortir.
Quoique le tout raisonnablement. Ses amies, sa tribu comme
elle les appelait, avaient fait bloc autour d’elle, se relayant
pour lui faire les courses, lui apporter de légers repas, lui tenir
compagnie durant les longues soirées ou lui passer la boîte de
Kleenex quand elle explosait en sanglots en hoquetant que le
pire c’est qu’elle ne comprenait même pas pourquoi elle était
dans un état pareil. La simplicité de leur bienveillance, leur
constance et leur chaleur avaient été plus qu’un soutien :
l’amorce pour une prise de conscience essentielle. Tandis
qu’elle oscillait entre la perte du passé – aussi triste et routi-
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vivre, plus son image était remontée avec vigueur et insis-
tance des profondeurs de ses souvenirs. Plus elle tendait au-
devant, plus elle s’ancrait en arrière. Consciente de ses re-
grets, elle se disait de plus en plus haut et fort qu’elle avait
laissé passer l’homme de sa vie. Et prise dans son inconfor-
table bascule, elle refumait en attendant que ça passe, en at-
tendant un miracle, sachant qu’après celui-là elle en attendrait
un autre, puis un autre et ainsi de suite ; dans un mouvement
où perpétuellement l’horizon recule… Ce qui est d’ailleurs la
nature même de l’horizon : toujours à portée de vue, jamais à
portée de vie !
Depuis juin, elle avait amorcé un changement, lame de
fond d’abord à peine visible, sourdine faible se renforçant peu
à peu qui à présent ressemblait aux murs des flots érigés par
un mistral déchaîné. Le mur brisé hurlait contre les rochers
aiguisés, d’un cri déchiré, âpre, éventré, répandant ses tonali-
tés iodées des crêtes écumeuses au cœur des terres. Cela fai-
sait un fracas assourdissant qu’elle faisait semblant de ne pas
entendre dont le volume augmentait proportionnellement aux
efforts qu’elle faisait pour le nier. Chemin sans retour, initia-
tion tardive et sans appel.
Alors qu’elle avait presque cessé de s’alimenter, elle re-
commença à manger. Elle recommença à sourire, à sortir.
Quoique le tout raisonnablement. Ses amies, sa tribu comme
elle les appelait, avaient fait bloc autour d’elle, se relayant
pour lui faire les courses, lui apporter de légers repas, lui tenir
compagnie durant les longues soirées ou lui passer la boîte de
Kleenex quand elle explosait en sanglots en hoquetant que le
pire c’est qu’elle ne comprenait même pas pourquoi elle était
dans un état pareil. La simplicité de leur bienveillance, leur
constance et leur chaleur avaient été plus qu’un soutien :
l’amorce pour une prise de conscience essentielle. Tandis
qu’elle oscillait entre la perte du passé – aussi triste et routi-
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