Page 11 - Extrait de Notes de coeur de Sophie Jalabert
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vallon. À cette heure la terre n’a pas d’odeur. Elle n’a pas
envie de rentrer dans la maison, pas encore. Le gel pourtant
vif pique agréablement. Le sang bat à ses tempes et la chaleur
à ses cuisses parle de langueur, d’envie, de lui. Comme la
terre alentour, elle sort de sa nuit, elle re-sent !
Pourquoi, comment s’étaient-ils séparés ? Elle n’en sait
plus rien, perdu dans les méandres d’un passé opaque, dis-
sous, désagrégé. Tant d’années se sont écoulées, lisses ou
pleines d’âpreté, diaphanes ou diaprées. Ils étaient simple-
ment partis chacun de son côté. Elle se souvient avoir quitté
la ville sans regret, mis une centaine de kilomètres entre le
passé et l’avenir, s’être enfoncée dans l’arrière-pays comme
on prend le maquis. Pourtant, elle avait attendu qu’il la re-
tienne, attendu un appel, un signe… « Reste ou partons en-
semble ! » Rien. Était-il parti avant ou après ? En tout cas, ils
avaient pris une direction différente. Elle, passant du pays de
Pagnol à celui de Giono ; lui, rejoignant la capitale pour inté-
grer la rédaction d’un grand magazine national.
Peu à peu le silence, interrompu çà et là par quelques croi-
sements au gré de rencontres anodines, mondaines ou ami-
cales. Et toujours en elle ce grand amour, tapi dans les replis
de son cerveau, de son cœur quasi anesthésié, de son corps en
manque de lui. Parfois elle en avait parlé, parfois elle en par-
lait. Avec humour, avec détachement. Une trace, une em-
preinte, une cicatrice nette, blanche, incrustée. Sur elle, en
elle, son parfum chypré, boisé. Elle le conservait blotti, bi-
chonné… La plus belle des cicatrices, la plus forte adhérence.
Elle s’était mariée et remariée. Elle avait vécu. Banal, nor-
mal, souvent fade, parfois passionnant, récemment difficile et
douloureux. Hermeline sait les rides sur son visage, une
bonne nouvelle puisqu’elle est encore vivante, elle ! Son mari
Oreste, lui, avait lâché l’affaire. Elle l’avait trouvé un matin
de mai endormi pour toujours sur le canapé. Elle avait laissé
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envie de rentrer dans la maison, pas encore. Le gel pourtant
vif pique agréablement. Le sang bat à ses tempes et la chaleur
à ses cuisses parle de langueur, d’envie, de lui. Comme la
terre alentour, elle sort de sa nuit, elle re-sent !
Pourquoi, comment s’étaient-ils séparés ? Elle n’en sait
plus rien, perdu dans les méandres d’un passé opaque, dis-
sous, désagrégé. Tant d’années se sont écoulées, lisses ou
pleines d’âpreté, diaphanes ou diaprées. Ils étaient simple-
ment partis chacun de son côté. Elle se souvient avoir quitté
la ville sans regret, mis une centaine de kilomètres entre le
passé et l’avenir, s’être enfoncée dans l’arrière-pays comme
on prend le maquis. Pourtant, elle avait attendu qu’il la re-
tienne, attendu un appel, un signe… « Reste ou partons en-
semble ! » Rien. Était-il parti avant ou après ? En tout cas, ils
avaient pris une direction différente. Elle, passant du pays de
Pagnol à celui de Giono ; lui, rejoignant la capitale pour inté-
grer la rédaction d’un grand magazine national.
Peu à peu le silence, interrompu çà et là par quelques croi-
sements au gré de rencontres anodines, mondaines ou ami-
cales. Et toujours en elle ce grand amour, tapi dans les replis
de son cerveau, de son cœur quasi anesthésié, de son corps en
manque de lui. Parfois elle en avait parlé, parfois elle en par-
lait. Avec humour, avec détachement. Une trace, une em-
preinte, une cicatrice nette, blanche, incrustée. Sur elle, en
elle, son parfum chypré, boisé. Elle le conservait blotti, bi-
chonné… La plus belle des cicatrices, la plus forte adhérence.
Elle s’était mariée et remariée. Elle avait vécu. Banal, nor-
mal, souvent fade, parfois passionnant, récemment difficile et
douloureux. Hermeline sait les rides sur son visage, une
bonne nouvelle puisqu’elle est encore vivante, elle ! Son mari
Oreste, lui, avait lâché l’affaire. Elle l’avait trouvé un matin
de mai endormi pour toujours sur le canapé. Elle avait laissé
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