Page 12 - Extrait de Notes de coeur de Sophie Jalabert
P. 12
ber le flacon de parfum qu’elle tenait. Il s’était brisé en
mille éclats avec un bruit assourdissant sur le carrelage. Il est
ici utile de préciser qu’Hermeline avait arrêté de fumer, un
mois auparavant. La concomitance du sevrage tabagique et du
décès renforçant, si besoin était, sa croyance que renoncer
soit au tabac, soit à l’attente, a la capacité destructrice et ra-
dicale de provoquer le drame. Avant même d’appeler les se-
cours, elle ralluma une cigarette puisqu’elle avait pris la pré-
caution cette fois d’en provisionner dans une petite boîte en
bois cachée au fin fond de la bibliothèque.
Un drame étrange. Libérée d’une vie qu’elle n’aimait pas,
son monde s’effondrait néanmoins. Tout comme le flacon
brisé avait longtemps laissé un sillage dans la pièce, Oreste
avec sa mort soudaine laissa une traînée derrière lui. Plus de
repères, plus les glissières de sécurité de l’ordre et de l’habi-
tude, la signalisation pépère du train-train bien rond qui
tourne en boucle infinie d’où les interrogations et les doutes
sont confortablement éjectés, éradiqués.
Puisque l’obligation de nourrir « son » homme avait dis-
paru, morte avec lui, qu’il n’était plus indispensable de veiller
sur qui que ce soit, Hermeline cessa de respecter le rituel des
repas. Plus de courses, plus de menus à prévoir, à exécuter…
Elle finit les réserves et se laissa glisser le long de la noncha-
lance, attendant que les choses changent, attendant que cette
furieuse envie d’être secoue le cocotier, fasse résonner le
rock’n’roll en elle ensommeillé… Attendant, donc se perdant
dans les paquets de cigarettes vidés en accéléré, sans cesse re-
nouvelés.
Au loin, les cloches du village. Le jour ne tardera pas à ga-
gner. Les ombres s’étirent, s’allongent, obscures et fuyantes.
Le chien s’est couché à ses pieds. Il ne semble pas avoir froid.
Il ronfle, grommelle, gémit. Ses pattes battent par moments
dans le vide. À quoi rêve-t-il ?
16
mille éclats avec un bruit assourdissant sur le carrelage. Il est
ici utile de préciser qu’Hermeline avait arrêté de fumer, un
mois auparavant. La concomitance du sevrage tabagique et du
décès renforçant, si besoin était, sa croyance que renoncer
soit au tabac, soit à l’attente, a la capacité destructrice et ra-
dicale de provoquer le drame. Avant même d’appeler les se-
cours, elle ralluma une cigarette puisqu’elle avait pris la pré-
caution cette fois d’en provisionner dans une petite boîte en
bois cachée au fin fond de la bibliothèque.
Un drame étrange. Libérée d’une vie qu’elle n’aimait pas,
son monde s’effondrait néanmoins. Tout comme le flacon
brisé avait longtemps laissé un sillage dans la pièce, Oreste
avec sa mort soudaine laissa une traînée derrière lui. Plus de
repères, plus les glissières de sécurité de l’ordre et de l’habi-
tude, la signalisation pépère du train-train bien rond qui
tourne en boucle infinie d’où les interrogations et les doutes
sont confortablement éjectés, éradiqués.
Puisque l’obligation de nourrir « son » homme avait dis-
paru, morte avec lui, qu’il n’était plus indispensable de veiller
sur qui que ce soit, Hermeline cessa de respecter le rituel des
repas. Plus de courses, plus de menus à prévoir, à exécuter…
Elle finit les réserves et se laissa glisser le long de la noncha-
lance, attendant que les choses changent, attendant que cette
furieuse envie d’être secoue le cocotier, fasse résonner le
rock’n’roll en elle ensommeillé… Attendant, donc se perdant
dans les paquets de cigarettes vidés en accéléré, sans cesse re-
nouvelés.
Au loin, les cloches du village. Le jour ne tardera pas à ga-
gner. Les ombres s’étirent, s’allongent, obscures et fuyantes.
Le chien s’est couché à ses pieds. Il ne semble pas avoir froid.
Il ronfle, grommelle, gémit. Ses pattes battent par moments
dans le vide. À quoi rêve-t-il ?
16