Page 14 - Extrait de Notes de coeur de Sophie Jalabert
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t. Néanmoins il avait été un compagnon facile à vivre,
une présence sécurisante. Elle, avait été une épouse dévouée,
fidèle à l’image qu’elle se faisait de ce rôle. Elle avait géré le
quotidien avec une redoutable efficacité, garanti une routine
bien huilée, étouffé savamment sa fantaisie et surtout sa sen-
sualité pour ne jamais risquer la moindre infidélité.

Brutalement elle était passée d’épouse à veuve. Change-
ment de statut radical et définitif ! Veuve et désemparée… Le
printemps avait été dur à passer. Elle souffrait de l’absence,
d’une habitude si soudainement brisée. Elle avait fumé bien
plus que d’ordinaire, attente d’un soulagement qu’elle pensa
à ce moment-là hors de portée.

En septembre, elle constata qu’au final l’absence avait eu
un étrange effet : ne rien changer tout en lui rendant une li-
berté dont a posteriori elle sut s’être privée. Sa consommation
de cigarette commença alors à se stabiliser, voire à légère-
ment diminuer. Sensation déroutante qu’avec sa mort à lui,
elle reprenne vie ! Peu à peu, elle avait renoué avec le rire, la
légèreté. Une forme de bonheur, tout nouveau quoiqu’encore
teinté d’attente. Elle attendait quoi ? Peut-être rien, elle atten-
dait par habitude, par désœuvrement, restes d’une vie d’avant
si viscéralement, ou tout du moins inconsciemment, enraci-
née qu’elle continuait d’attendre. C’était à ses yeux l’essence
même de la vie. Le prochain repas avec ses amies, la pro-
chaine promenade du chien, le prochain soir, le prochain
matin. Attendre par habitude, par paresse, par décourage-
ment.

Toujours penchée en avant pour ne point basculer vers l’ar-
rière, là où dans le passé…

Elle avait laissé celui, le seul, qu’elle eût aimé
et auquel, par pudeur, par négligence, par immaturité, par

doute – qui sait ? –
elle n’avait jamais osé avouer ses sentiments.

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