Page 16 - Extrait de Juste un grain de sable de Sophie Jalabert
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Noémie, elle, a connu un vrai traumatisme. Elle pourrait
vous faire pleurer sur son sort en toute légitimité. Novembre
2015. Son mari et son frère au Bataclan. Les heures d’an-
goisse avant de savoir, la détresse en sachant, la douleur du
double deuil, la sidération face à l’absurde, à la haine. Les
jours qui suivirent, elle resta engluée face à l’écran de télévi-
sion, suivant pas à pas le déroulement sordide des événements
sur BFM, malgré mes exhortations à sortir de cette boucle in-
fernale du sensationnalisme dramatique. Elle traînait son cha-
grin cherchant à quoi se rattraper pour ne pas sombrer. La
ville entière lui faisait peur. Elle redoutait le métro, était prise
de terribles crises de panique hors de chez elle. Mes efforts
pour la soutenir ne suffirent pas. Seule la présence de Marie
l’apaisait. Elle trouvait auprès de sa filleule une réconfortante
chaleur. Je la regardais avec compassion, sans comprendre
réellement ce qu’elle traversait. Le moindre bruit la faisait
sursauter, le moindre pigeon blessé provoquait des sanglots,
la plus petite évocation d’un concert la mettait dans un état de
panique ingérable.
Enfin, la décision, salvatrice et irrévocable, de quitter la
métropole, pour rejoindre ses parents en Guadeloupe. Je me
souviens avec précision de nos adieux à Roissy. Déchirement
et soulagement mêlés, larmes et sourires. Un dernier café un
peu amer, dans le brouhaha des voyageurs, puis elle s’était
éloignée presque en courant dans les tubes de verre des esca-
lators, fragile, apeurée et résolue.
Sa lente reconstruction après des années de galère finan-
cière et affective. Son incapacité, durant les quatre années qui
ont suivi, à traverser l’Atlantique par crainte d’un nouvel at-
tentat, d’une confrontation avec l’extrémisme aveugle, avec
cet obscurantisme si étranger à ses valeurs, à ses convictions,
qui avait amputé sa vie, son cœur. Nous nous parlions par
Skype ou par WhatsApp. Raconter les petits riens d’une exis-
tence dont le cours contrarié reprenait néanmoins, partager
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vous faire pleurer sur son sort en toute légitimité. Novembre
2015. Son mari et son frère au Bataclan. Les heures d’an-
goisse avant de savoir, la détresse en sachant, la douleur du
double deuil, la sidération face à l’absurde, à la haine. Les
jours qui suivirent, elle resta engluée face à l’écran de télévi-
sion, suivant pas à pas le déroulement sordide des événements
sur BFM, malgré mes exhortations à sortir de cette boucle in-
fernale du sensationnalisme dramatique. Elle traînait son cha-
grin cherchant à quoi se rattraper pour ne pas sombrer. La
ville entière lui faisait peur. Elle redoutait le métro, était prise
de terribles crises de panique hors de chez elle. Mes efforts
pour la soutenir ne suffirent pas. Seule la présence de Marie
l’apaisait. Elle trouvait auprès de sa filleule une réconfortante
chaleur. Je la regardais avec compassion, sans comprendre
réellement ce qu’elle traversait. Le moindre bruit la faisait
sursauter, le moindre pigeon blessé provoquait des sanglots,
la plus petite évocation d’un concert la mettait dans un état de
panique ingérable.
Enfin, la décision, salvatrice et irrévocable, de quitter la
métropole, pour rejoindre ses parents en Guadeloupe. Je me
souviens avec précision de nos adieux à Roissy. Déchirement
et soulagement mêlés, larmes et sourires. Un dernier café un
peu amer, dans le brouhaha des voyageurs, puis elle s’était
éloignée presque en courant dans les tubes de verre des esca-
lators, fragile, apeurée et résolue.
Sa lente reconstruction après des années de galère finan-
cière et affective. Son incapacité, durant les quatre années qui
ont suivi, à traverser l’Atlantique par crainte d’un nouvel at-
tentat, d’une confrontation avec l’extrémisme aveugle, avec
cet obscurantisme si étranger à ses valeurs, à ses convictions,
qui avait amputé sa vie, son cœur. Nous nous parlions par
Skype ou par WhatsApp. Raconter les petits riens d’une exis-
tence dont le cours contrarié reprenait néanmoins, partager
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