Page 5 - Extrait de Notes de coeur de Sophie Jalabert
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e quand elle attend. Qu’est-ce qu’elle attend ? Tant et tant
qu’elle n’en sait plus rien. Cela fait si longtemps qu’elle at-
tend !
Petite, sa mère lui demandait : « Hermeline, qu’est-ce que
tu attends ? » Elle l’ignorait alors, l’ignore toujours. À
l’époque, elle attendait la tête contre la vitre dans la voiture,
les pieds pendants sur une chaise du salon, les bras sur le vi-
sage à genoux contre le lit, assise sur les bancs de l’école. Elle
en était arrivée à la conclusion, somme toute logique, que la
vie est une très, très, très longue attente ! Le tabac avait tou-
jours accompagné cette interminable expectative.
Intra utero déjà, elle consumait les brunes de sa mère tan-
dis qu’elle attendait de croître puis de naître. Bébé, celles de
son père s’étaient ajoutées. Elle avait vécu dans les volutes
des Marigny et des Gitanes sans filtre. Nuage opaque dans la
4 CV familiale où qu’on aille, voile blanc et bleuté dans la
maison… En attendant le biberon, la sieste, l’heure du bain,
l’heure de l’école, l’heure du goûter, celle du dîner, le jour des
vacances, le retour de Papa… Toujours tabac et attente.
Sa première cigarette personnelle, crapotée à cinq ou six
ans, elle l’a dérobée dans la timbale posée sur la table basse
du salon, juste à côté du si joli briquet en argent aux lignes re-
bondies, graciles. Cachée sous l’eucalyptus au fond du jardin
avec quelques camarades, elle l’avait allumée en riant. Elle at-
tendait d’être plus grande, plus femme. Tenir le précieux bâ-
tonnet avec une fausse assurance, prendre des poses, minau-
der en singeant sa mère, pour oublier le fossé, le gouffre, qui
la séparait encore de cette liberté à laquelle elle aspirait déjà.
Il faut dire qu’à l’époque quasiment tous les grands fumaient.
Grand et fumeur étaient donc synonymes !
Il est quatre heures. Le ciel est coupé en deux. D’un côté
étoilé, limpide ; de l’autre, chargé d’un océan cotonneux par-
fois distendu, parfois compact d’où la lune émerge par inter-
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qu’elle n’en sait plus rien. Cela fait si longtemps qu’elle at-
tend !
Petite, sa mère lui demandait : « Hermeline, qu’est-ce que
tu attends ? » Elle l’ignorait alors, l’ignore toujours. À
l’époque, elle attendait la tête contre la vitre dans la voiture,
les pieds pendants sur une chaise du salon, les bras sur le vi-
sage à genoux contre le lit, assise sur les bancs de l’école. Elle
en était arrivée à la conclusion, somme toute logique, que la
vie est une très, très, très longue attente ! Le tabac avait tou-
jours accompagné cette interminable expectative.
Intra utero déjà, elle consumait les brunes de sa mère tan-
dis qu’elle attendait de croître puis de naître. Bébé, celles de
son père s’étaient ajoutées. Elle avait vécu dans les volutes
des Marigny et des Gitanes sans filtre. Nuage opaque dans la
4 CV familiale où qu’on aille, voile blanc et bleuté dans la
maison… En attendant le biberon, la sieste, l’heure du bain,
l’heure de l’école, l’heure du goûter, celle du dîner, le jour des
vacances, le retour de Papa… Toujours tabac et attente.
Sa première cigarette personnelle, crapotée à cinq ou six
ans, elle l’a dérobée dans la timbale posée sur la table basse
du salon, juste à côté du si joli briquet en argent aux lignes re-
bondies, graciles. Cachée sous l’eucalyptus au fond du jardin
avec quelques camarades, elle l’avait allumée en riant. Elle at-
tendait d’être plus grande, plus femme. Tenir le précieux bâ-
tonnet avec une fausse assurance, prendre des poses, minau-
der en singeant sa mère, pour oublier le fossé, le gouffre, qui
la séparait encore de cette liberté à laquelle elle aspirait déjà.
Il faut dire qu’à l’époque quasiment tous les grands fumaient.
Grand et fumeur étaient donc synonymes !
Il est quatre heures. Le ciel est coupé en deux. D’un côté
étoilé, limpide ; de l’autre, chargé d’un océan cotonneux par-
fois distendu, parfois compact d’où la lune émerge par inter-
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